La prière est un chemin vers Dieu, parfois semé d’embûches. à la lumière de leur expérience, prêtres, religieuses ou laïcs donnent des repères pour construire une vie de prière.
1. Quand prier ? Où ? Combien de temps ?
« Des amis, rappelle le P. Jean-Marie Gueullette, professeur de théologie à l’université catholique de Lyon, directeur du centre interdisciplinaire d’éthique de l’université, s’ils veulent se rencontrer, doivent faire des choix et décider des priorités dans leur agenda. S’ils en restent au stade du désir, ils ne se verront jamais. Avec la prière, c’est la même chose. Si vous priez quand vous en avez envie, vous ne prierez pas souvent.
En ce qui concerne le lieu, l’essentiel est de trouver l’endroit qui favorise pour soi la prière, le recueillement. Mais on ne prie pas seulement dans les chapelles ou dans la chaleur des lieux aménagés. Dieu est avec nous en tout lieu, puisqu’il réside en nous. Si nos journées comportent un temps de prière, même court, il devient peu à peu possible de reprendre conscience de la présence de Dieu, au supermarché ou dans l’ascenseur. »
Un conseil. Se fixer une durée réaliste et s’y tenir. Ne pas se poser la question de savoir si on a envie ou pas, ce qui change tout car on ne part pas de soi et de ses états d’âme, mais de Dieu, en présence de qui on se tient.
À lire. Deux ouvrages de Jean-Marie Gueullette : Prier au quotidien (Presses de la Renaissance) et Laisse Dieu être avec toi (Cerf).
2. Le corps participe-t-il à la prière ?
« On est allé trop loin dans la rupture entre l’esprit et le corps, et nous sommes encore des êtres coincés, déplore sans détours soeur Catherine Aubin, dominicaine, licenciée en psychologie et docteur en théologie spirituelle. Le corps est le moyen de notre relation au monde et aux autres.
Quand j’aime quelqu’un, je lui tends la main, je lui souris et l’embrasse. La prière est du même ordre, car elle est relation. Une relation tout intérieure avec Dieu. Le corps, loin de gêner, aide à prier, à mettre mon coeur en mouvement.
Si j’embrasse l’Évangile avant de commencer à prier, cela met mon corps en disposition. Chacun peut laisser venir de l’intérieur de lui-même les gestes intimes qui mettent en mouvement son coeur. Parfois, il n’est plus besoin de parler. Le corps est prière. »
Un conseil. Commencer par retrouver le sens de la respiration. En inspirant, j’accueille le don que Dieu me fait de la vie. En expirant, je rends à Dieu ce qu’il m’a donné : le souffle de la vie. Chaque matin au lever et chaque soir au coucher, faire un exercice de respiration profonde, afin d’être au contact de soi, des autres et de Dieu.
À lire. Deux ouvrages de soeur Catherine Aubin : Prier avec son corps : à la manière de Saint- Dominique et Les Fenêtres de l’âme : aimer et prier avec ses cinq sens (Cerf).
3. Comment entrer en prière ?
« La prière, rappelle frère Jean Marie, depuis trente ans à Taizé, est un espace où on se laisse conduire, attiré par Dieu. À Taizé, les jeunes ont cette possibilité de s’arrêter, de se laisser conduire. La musique est belle, les chants simples. Mais le vocabulaire est celui des psaumes. Un verset résonne en nous. Peut-être nous parle-t-il. Le chant nous décentre en douceur, ouvre un accès à la Parole de Dieu. Ensuite, les lectures s’éclairent souvent d’une autre manière, et dans le temps de silence, nous nous laissons rejoindre dans les recoins les plus cachés de notre coeur par la Parole de Dieu. »
Un conseil. Privilégier la simplicité des moyens et des gestes. Une icône. Une croix. Une Bible ouverte. Commencer avec un beau signe de croix. Chacun porte aussi en lui des paroles, comme « Me voici Seigneur, je suis là ».
Un site : www.taize.fr
4. Faut-il parler pour prier ?
« Laisser la prière devenir oraison, explique le P. Dominique Sterckx, carme, animateur des Amitiés carmélitaines à l’Institut catholique de Paris, c’est accepter de se taire, laisser le silence s’établir en nous dans l’oubli de nous-mêmes pour nous concentrer sur les paroles de Jésus et laisser l’Esprit les graver dans nos coeurs jusqu’à ce qu’elles y portent des fruits de foi, d’espérance et de charité.
Ensuite peut-être parler en des mots brefs et simples, en serviteur et en ami, pour dire « Que veux-tu que je fasse ? » L’oraison, comme toute rencontre d’amitié, prend des tonalités différentes selon les jours.
Parfois, un verset de l’Écriture m’imprègne, et me donne de goûter la présence de Dieu. Parfois, il me suffit de prononcer le seul nom de Jésus pour qu’il soit présent. Je me contente alors de le regarder et de me laisser regarder par lui. Mais parfois aussi, il me semble qu’Il n’existe plus pour moi. Croire malgré tout à sa présence en moi est un acte de foi en sa parole. Le Seigneur ne prend pas de gyrophare pour se faire entendre ! »
Un conseil. « Le silence, c’est comme brancher l’ADSL sur son ordinateur, explique le P. Antoine d’Augustin, prêtre de l’institut Notre-Dame de vie et formateur au séminaire de Paris, accompagnateur d’écoles d’oraison à Paris. Il ouvre la capacité à recevoir Dieu, en commençant par abandonner entre ses mains ce que nous sommes, avec nos faiblesses, nos névroses. »
À lire. L’Oraison des débutants, par le P. Marie Eugène de l’Enfant Jésus (Éd. du Carmel). L’Oraison, une école d’amour, par Antoine d’Augustin (Parole et Silence).
Un site : www.carmel.asso.fr
5. Comment nourrir sa prière ?
Le recours régulier à l’Écriture est indispensable pour apprendre à connaître celui à la rencontre de qui l’on va, et chercher à donner corps à sa Parole. À la suite des Pères du désert, les moines pratiquent dans la solitude une lecture priante de la Bible ( lectio divina) qui est le pendant de la prière des heures, prière communautaire qui rythme la journée. Cette pratique peut être reprise par tous les chrétiens, en l’adaptant.
« La parole de Dieu est une boussole qui oriente tout le reste, explique le P. David, père abbé d’En-Calcat. Depuis vingt ans, je lis l’Écriture crayon à la main. Dieu s’est fait à l’image de l’homme. Il nous confie, nous délègue par son Esprit la compréhension de l’Écriture. Je m’efforce de comprendre, avec les connaissances qui sont les miennes. Puis je copie le mot, le verset qui me touche, je le laisse se déployer, au-delà de la pensée. Copier, c’est lire sept fois, dit-on. Dans le silence, j’écoute ce que Dieu, au travers de ce verset, a à me dire, comment il me rejoint dans ma personnalité, ma vie, mes épreuves. Cela m’imprègne, m’accompagne pour la journée, me permet peut-être de reconnaître dans la parole d’un frère, d’un hôte, d’un ami, comment l’Esprit est à l’oeuvre. »
Un conseil. L’Écriture est une petite goutte qui perce la pierre. Lire un passage biblique, sans chercher trop à l’analyser. Choisir un mot, celui qui interpelle, l’écouter, le réécouter pour laisser résonner la parole de Dieu. Même un quart d’heure chaque jour
À lire : Quand la parole prend feu. Propos sur la lectio divina, de François Cassingena-Treverdy (Éd. Bellefontaine).
6. Existe-t-il des méthodes pour guider la prière ?
Apprendre à prier, c’est apprendre à exprimer son désir de Dieu en présence de Dieu. La liturgie commune est le lieu fondamental de cet apprentissage. Elle s’articule avec la prière solitaire, personnelle, dans laquelle le chrétien se tient en présence du Père « qui est là dans le secret » (Mt 6,6).
« Des écoles spirituelles, des méthodes, se sont développées au cours des siècles pour encourager, guider, évangéliser cette prière, constate Pascale Paté, engagée au Chemin-Neuf avec son mari depuis 1992, responsable de la revue de la Communauté et animatrice de retraites. Chacune correspond à l’expérience d’un homme ou d’une femme.
Ignace de Loyola, par exemple, propose une pédagogie de la prière, fruit de l’expérience qui l’a conduit à discerner l’action de l’Esprit de Dieu en lui, qu’il a transmise dans ses Exercices spirituels. Ces écoles peuvent être nécessaires pour se mettre en chemin, aller plus loin, persévérer, apprendre à se laisser transformer. »
Un conseil. C’est à chacun de trouver sa voie, celle qui lui convient. Commencer par regarder ce qui est proposé près de chez soi, dans sa vie de tous les jours, écouter les conseils de ses proches, aller voir, expérimenter.
À lire : « Dix méthodes pour prier », hors-série du mensuel Prier.
7. Réciter une prière, est-ce prier ?
Jésus a condamné le rabâchage, mais il a aussi donné en exemple la veuve qui ne craint pas de venir importuner le juge avec la même demande (Lc 18,1-8). La tradition chrétienne offre de nombreuses prières. Le Notre Père, enseigné par Jésus à ses disciples, tient une place privilégiée. D’autres possèdent une référence évangélique, comme le Je vous salue Marie ou le Magnificat, ou tiennent une place importante dans la tradition de l’Église comme le Symbole des apôtres ou le Gloire à Dieu. On peut aussi méditer les mystères du rosaire, ou reprendre la Prière du coeur « Seigneur Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ».
« Le risque, explique le P. Patrice Gourrier, prêtre à Poitiers et animateur de l’association Talitha Koum, c’est de réciter machinalement, du bout des lèvres, sans être animé par le désir d’être uni au Christ. La prière du coeur a par exemple été mise au point par les Pères orientaux pour éloigner le flot des pensées, faire le vide et libérer un espace de silence intérieur afin que le Christ habite toujours plus notre personnalité. »
Un conseil : Pratiquer l’une ou l’autre de ces prières avec un groupe de priants évite une récitation mécanique. La prière en groupe est un soutien et une expérience de communion.
8. Qui prier : le Père, le Fils, l’Esprit Saint ?
« Les premiers disciples priaient le Dieu de leurs Pères, rappelle le P. Michel Rondet, jésuite, mais il est devenu pour eux le Père de Jésus, Celui que Jésus a aimé et fait connaître comme son Père et notre Père. C’est à Lui que l’on rend grâces en particulier pour le don qu’Il nous a fait en son Fils. En laissant l’Esprit prier en nous, nous communions à l’amour de Jésus pour le Père. C’est pourquoi la prière chrétienne s’adresse au Père, par le Fils, dans l’Esprit.
Notre prière peut partir du Fils, de la méditation de ses paroles, de la contemplation de ses gestes, elle nous conduit nécessairement au Père. Réciproquement, nous ne pouvons pas prier le Père sans revêtir les sentiments qui furent ceux de Jésus et vivre de son Esprit. La prière nous introduit dans le mouvement qui lie le Père, le fils et l’Esprit, dans leur communion. Nous ne prions pas Marie ou les saints comme nous prions le Père. Nous leur demandons : Priez pour nous, et non pas : Exauce-nous. »
Un conseil. Dans la communion des saints, nous rejoignons la prière de Marie pour les hommes dont elle est devenue mère au pied de la croix. Nous lui faisons confiance car elle est dans notre humanité celle qui est associée d’une manière unique à l’oeuvre de la Trinité. Et nous associons les saints à notre prière parce que nous croyons qu’ils participent avec nous aux soucis du Royaume.
À lire : Petit Guide de la prière, de Michel Rondet (DDB).
9. Faut-il être accompagné spirituellement ?
Toutes les familles spirituelles, s’appuyant sur le récit des Évangiles où Jésus fut poussé au désert pour y être tenté (Mt 4,1), le disent : celui qui prie est forcément confronté à ses démons. Au IVe siècle, Jean Cassien, dans ses conférences aux moines sur la prière, comparait notre esprit à un moulin dont les ailes sont mues par le vent. Il ne nous appartient pas de les empêcher de tourner, disait-il, mais nous pouvons leur donner à moudre du froment ou de l’ivraie.
« À certains moments, reconnaît soeur Véronique Fabre, supérieure de la communauté du Cénacle animant le centre spirituel de Versailles, l’accompagnement spirituel peut être nécessaire pour vérifier que nous ne faisons pas fausse route, pour déjouer les pièges de l’illusion et de la toute puissance.
Par exemple, lorsque nous n’entendons que ce que nous avons envie d’entendre, en laissant de côté certains passages de l’Écriture sous le prétexte que nous ne les comprenons pas. L’accompagnement peut également aider à ne pas juger notre prière à l’aune de la seule émotion. »
Un conseil. L’accompagnement n’est pas le seul moyen d’être aidé à cheminer dans la prière. Le plus important est de ne pas rester seul. Il peut suffire de rejoindre un groupe pour se nourrir de la parole de Dieu, en acceptant d’être interrogée par cette Parole.
10. Que faire lorsque disparaît le goût de la prière ?
« Cette sécheresse n’a rien d’inouï, explique Maurice Bellet, prêtre, philosophe et psychanalyste, auteur de Minuscule traité acide de philosophie (Bayard). Elle est même quasiment normale. Les vieux auteurs la jugeaient utile et féconde. Purifier la prière, c’est purifier le désir, jusqu’à ce qu’il rejoigne la volonté de Dieu.
À l’époque moderne, l’ennui, le dégoût viennent souvent du côté réglementaire et obligatoire de la prière, d’un sentimentalisme ambigu, d’un dogmatisme devenu stérilisant. Certains continuent coûte que coûte. C’est peut-être la prière la plus pure, car c’est l’acceptation que la relation soit nue, sans rien qui satisfasse.
Mais ce vouloir croire ne doit pas devenir une obstination vide de sens. Prier, c’est être avec Dieu dans une relation vivante où Dieu est Dieu. Où Dieu est Don et aime vraiment l’homme. François de Sales invitait Jeanne de Chantal à « quitter Dieu pour Dieu ». La contemplation, disait-il aussi, doit se faire « avec plaisir ».
Alors, puisqu’il s’agit d’être avec Dieu, je peux me demander quelle prière me ferait plaisir : lire le commentaire d’un texte biblique avec un désir fort de vérité ? écouter La Passion de Jean Sébastien Bach ? En tout, je peux me tourner vers celui qui m’est insaisissable. »
Un conseil. Quand vous ne savez plus prier, faites ce qui vous convient sans juger le chemin choisi par d’autres. En n’oubliant pas quelque chose de très concret, ce qu’annonce Jean en sa première épître (4-12). Dieu est cet Inconnu, par-dessus le gouffre de l’absence, qui s’éveille en nos coeurs et nos mains lorsque nous nous faisons proches du prochain.
Martine de SAUTO.